Aujourd'hui c'est dans les eaux troubles du Net et des réseaux sociaux que cancanent inlassablement les canards ... Et l'opinion publique, assourdie, descend dans la mare, s'y vautre, abandonnant la direction de ses idées à ces faiseurs de canards que l'on préfère, comme c'est dommage, appeler des Fake news.
Fake News
Ou la mare aux canards
Le dernier numéro d'Historia titrait son dossier " de la figue fraîche de Caton à l'affaire des couveuses de Saddam Hussein". On l'aura deviné, il ciblait les fake news.
Les Fake news. Napoléon les évoque dans l'interview fictive qu'il accorde à son biographe Pierre Branda (toujours dans Historia), rapportant que Nathan Rothschild aurait profité de sa défaite à Waterloo pour réaliser un joli coup à la Banque de Londres : "Voilà une fausse nouvelle, mais je crois que vous ne dites plus fausse nouvelle mais fake news, quel malheur pour notre langue !".
L' Anglais triomphait à Waterloo et triomphe encore dans notre langue. Pour autant, Napoléon avait-il tout à fait raison d'assimiler fausse nouvelle et fake news?
Si les fake news sont forcément de fausses nouvelles, toutes les fausses nouvelles ne sont pas des fake news. Une fausse nouvelle peut n'être que le résultat d'une erreur de compréhension, d'une mauvaise transmission, d'une déformation involontaire, une mauvaise interprétation. Elle peut être proclamée en toute bonne foi, en son âme et conscience. Se tromper est humain et n'est pas condamnable.
Ce n'est pas du tout le cas des fake news, qui sont, elles, des nouvelles fabriquées de toutes pièces. Le mot anglais "fake", s'il signifie bien faux porte en lui aussi la notion de trucage et d'artifice. Deux mots derrière lesquels se cache la main d'un forgeron, d'un fabricant. L'une des sources possibles[1] de fake est en effet le latin facere, faire, fabriquer. Les fake news ne sont pas le résultat d'une erreur, elles sont des nouvelles volontairement fabriquées. On ne se trompe pas, on trompe autrui.
Fausses nouvelles ne semblent donc pas pouvoir correspondre à fake news. Faut-il pour autant rendre les armes à l'Anglais ? Pourquoi pas "nouvelles factices", avec cette même racine facere. Évidemment, le mot claque moins bien, s'étire et perd de son jus.
Pourquoi pas canard ?
Les Illusions Perdues, roman de Balzac, raconte comment le jeune poète Lucien de Rubempré monte à Paris pour s'y faire un nom. De poète, il devient scribouillard au service de la Presse. Les journaux devaient pour survivre appâter le lecteur en s'emparant de tous les faits qui pouvaient devenir des gros titres. Mais parfois l'horizon était plat et calme. Ou un concurrent plus rapide, plus habile monopolisait le lectorat. Il fallait alors sortir sa meilleure arme : le canard.
Lors d'un comité de rédaction, comme l'on dirait aujourd'hui, l'encore naïf Lucien de Rubempré interroge :
- Des Canards ?
- "Nous appelons un canard[2], lui répondit Hector, un fait qui a l'air d'être vrai mais qu'on invente pour relever les Faits-Paris quand ils sont pâles"
Et les idées fusent ce jour-là : (inventer) des ridicules aux hommes vertueux de la Droite, dire que l'un d'entre eux pue des pieds, inventer des refus de sépulture avec circonstances plus ou moins aggravantes ...
Tout cela reste du domaine "mondain", vise des personnes en vue, politiques ou artistes, de la basse besogne. Pas loin de la calomnie.
Jusqu'au jour où le canard prend son envol, sort de son pré carré, et bat des ailes dans une tout autre sphère, celle des idées :
Vous allez donc élever le canard jusqu'à la politique ? demande le journaliste Lousteau à Finot, propriétaire du journal. Et ce dernier de répondre : (...) on attribue des intentions au Gouvernement, et l'on déchaîne contre lui l'opinion publique".
Isabelle LEFEBVRE
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