Couvre-feu

Je me souviens ... une leçon de choses, comme l’on disait alors. Une bougie allumée, que l’on recouvre d’un bocal en verre ... la flamme qui s’essouffle, s’étouffe, privée d’oxygène, et qui meurt.

Je me souviens encore de l’enfant de chœur et de son éteignoir, longue tige pourvue en son extrémité d’un cône creux, qui la messe étant dite, couvrait la flamme des cierges ne laissant derrière elle qu’une fumée âcre et noire.

Le feu dans les deux cas avait été couvert, et, privé d’oxygène, mourait. Plus de flamme, plus de chaleur, plus de lumière.

Si le feu éclaire et réchauffe, il est aussi en ville, un danger. De nombreux incendies se déclarent et les maisons de bois s’enflamment rapidement.

C’est pour parer à ce danger qu’une décision de police intervient. Ordre est donné de couvrir les feux dans chaque demeure à partir, selon les saisons, de sept, huit ou neuf heures : c’est le couvre-feu, que sonne le beffroi. Une mesure sécuritaire pour protéger la vie et les biens des citoyens.

Tous doivent alors couvrir l’âtre d’un éteignoir ou étouffer les flammes avec les cendres. Sans feu dans les rues ni dans les demeures, tous restaient alors chez eux sans rien d’autre à faire que se réfugier au creux du lit.

Si les traces écrites du mot apparaissent au 13ème siècle dans le Roman de Renart, ou encore le Livre des métiers d’Etienne Boileau sous la forme coverfeu, il est certain que cet usage date d’une époque bien antérieure. Certains l’attribuent à Guillaume le Conquérant, qui l’aurait imposé aux anglo-saxons après sa victoire pour éviter que d’aucuns se réunissent à la faveur de la nuit pour comploter contre le Normand. L’on voit là déjà les prémices de ce que deviendra le couvre-feu qu’ont connu les Français sous l’occupation allemande.

Il n’aura pas fallu attendre le 20ème siècle pour que le couvre-feu désigne cette obligation de rentrer dans ses foyers. Très vite, au Moyen-Âge, le beffroi n’annonce plus seulement l’heure de couvrir la flamme, mais aussi celle de l’obligation d’être chez soi. Dans la rue, plus âme qui vive : l’on prévient ainsi tout brigandage et crimes sordides. Et cela perdure même parfois encore au début du 20ème :
Sait-on que l’usage du couvre-feu, qui remonte à quelques siècles existe encore en France ? Non pas à Paris, bien entendu, mais dans une bourgade du département de l’Aisne tout au moins, à Notre-Dame-de-Liesse, où la cloche du couvre-feu continue à sonner tous les soirs à 9 heures : c’est un signal pour la fermeture des cabarets. (Le petit français illustré, Journal de écoliers et des écolières, 15 janvier 1901).


2020, le couvre-feu est restauré. Par mesure de sécurité sanitaire. Nulle part il n’est sonné. Chacun de nos jours est censé savoir l’heure qu’il est. À la maison, pas de flamme à couvrir, elle peut continuer à brûler si elle flamboie dans l’âtre, pas d’électricité à couper ; le couvre-feu ne nous plonge pas dans le froid et l’obscurité, . Quant aux complots politiques ou à l’activité des malfrats ... tant qu’internet est là ... Mais qu’aurait fait Guillaume le Normand ? Un coupe-courant peut-être ? Finalement, on ne s’en sort pas si mal !

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